la succession des "mondes"...
"Les mondes". (techniques mixtes et travail photo)
... et non l'illusion de continuité.
Que savons-nous au juste de la pertinence de nos perceptions—de ce qu'elles contiennent comme part de vérité sur "ce qui est" des mondes internes et externes. La perception est une fabrication à la manière de l'action. Une création à partir de notre base psycho-physiologique du moment : cognitive, affective et somatique. Quelque chose du dehors vient nous percuter et nous déclencher d'une manière singulière qui n'appartient qu'à nous-mêmes, en fonction de nos mémoires et nos habitus, nos engrammes et nos automatismes. Quelque chose en miroir de l'extérieur se forme en nous pour nous donner un accès (partiel) à lui. Ainsi, à force de suspension / redirection et laisser-venir (cf. "epoche" husserlienne), notre monade s'élargit et se nourrit, se complexifie et se raffine.
Pour installer cette souplesse-là, nous sommes dotés d'un système, transparent ou presque, d'accrochement au monde et de décrochage du monde, permettant sans cesse comme un retour au point "zéro" : le surgissement par surprise d'une brèche de simple présence—sans plus d'énaction immersive, binaire, obsessionnelle, voire conflictuelle, avec l'environnement. Un entre-deux comme un Bardo soulageant, une transition bienheureuse entre deux "mondes" d'accroche psychologique.
Notre erreur est celle de la perception tranquille que tout est "un", que tout est "continuum"—sans jonction entre les segments. Alors que, réellement, nous vivons une incessante succession de situations émergentes entre nous et notre "autour"—là, précisément où nous nous trouvons. Notre présence est polymorphe—fonction des lieux que nous traversons, des circonstances que nous rencontrons et des mises-en-contact interindividuelles auxquelles nous sommes invités. En tant qu'organisme vivant, nous passons notre existence à nous lier et à nous délier. Ceci est le propre de notre autonomie à nous auto-définir sur tous les plans ; c'est aussi le propre de notre capacité à fonctionner selon des modes pérennes, récurrents et co-affectants, avec tout ce qui nous concerne dans le champ direct de nos interactions —via l'énaction. Les deux phénomènes s'auto-organisant simultanément autour de nos dynamiques internes, baignées au sein de nos environnements multiples.
La brèche, c'est la pause qui nous déconditionne des "faire-monde" trop pressants, le fond qui nous rassemble "en un point" d'être synchronisé, un éclair de temps—sans temps vraiment. Sans accroche—affective ou karmique (temporelle), à proprement parler. La brèche nous libère en arrière-plan profond.
Nous trouvons-nous alors plus verticaux (au sein de nous-mêmes) qu'horizontaux (avec les autres) ? C'est une question et la réponse est "non". Car si nous nous trouvons davantage en phase avec nos dimensions de "non-moi"—à savoir plus présents à notre inconsistance dans le flux que fixés sur nos raideurs mentales—certaines, petites et serrées—en définitive, nous sommes en fait plus "ouverts" et plus "donnés"... que "fermés" et durcis sur un nous-même lourd et affaissé.
Notre verticalité (augmentée), liée pleinement à l'altérité donc—sans effondrement, ni maltraitance—permet cette manifestation stroboscopique, cette aptitude tout-à-coup à se dégager des impressions envahissantes—qui nous collent d'un peu trop près, et à pouvoir envisager la qualité véritable de l'espace qui est. Une phénoménologie de l'égo apaisée ; une bascule comme une clairvoyance d'ensemble—entraînant le corps dans la détente, la justesse, la sensibilité et la circulation des remontées d'informations, subtiles et concrètes. Mais si la brèche est précise, elle reste éphémère... Car nous ne sommes pas encore couramment stabilisés. Notre corps de sagesse, comme ancre sensorielle, ne nous accompagne pas tout le temps. L'alignement ne se fait pas constamment.
Plus fondamentalement encore, si la brèche est incarnée, elle se branche sur l'Alaya (et son introuvabilité —cf. Francisco Varela sur "Sunyata"). Penser que le "nous-même" le plus ultime est lui-même introuvable, voilà qui fait la différence ! Alors seulement, on se laisse flotter dans la circularité du tout qui surgit et du tout qui s'évapore ; ainsi que gagner par la confiance... puisqu'il n'y a plus rien de "sûr" à défendre, plus rien pour lequel lutter, en soi-même ou contre soi-même. Quand la dualité confrontante, immobilisante, glaçante—entre un moi survivant et une altérité distante, s'évanouit, Toi devient Moi... Ce qui est pure vérité. Alors seulement, la brèche s'installe entre nous et, ensemble, nous partons en lien d'Amour équilibré, dans une éternité fluctuante faite de rythmes et de couleurs.
La succession des mondes, pour nous, peut peut-être alors s'éteindre... sans plus d'illusion ou de "conscience de"—en somme, sans plus de Samsara. Sans, pour autant non plus, de Nirvana... ou alors, au seul sens où la brèche oriente notre qualité de présence, intensifie notre focale d'Amour... Devient notre ruisseau.
Ak Mi, 11 oct '20 - 11h52
texte très abouti qui vient lier et délier les questions du sens et la Vérité...ce que j'en retiens! merci Anika
RépondreSupprimerBeaucoup de relectures pour le rendre plus lisse. .)... et définitivement développer ce que je voulais dire :)
SupprimerLe tréfonds de l'autre et de nous même est inatteignable … la part divinisable ? Merci de ce partage.
RépondreSupprimerSi, vibratoirement, ce tréfonds est incarnable. Il fait alors "expérience". Il est déjà notre divin .)
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