quand on abuse de "la création"...

 ... c'est qu'on est pressé d'en finir : que les points culminants nous droguent et qu'à force d'y revenir, plus rien n'est satisfaisant. Pressé d'en finir avec le chaos de ce qui jamais n'émerge assez, avec la vie dans ce qu'elle a de plus morne et de plus rugueux. Mais quand on abuse d'un effet de pic, de gouffre ou de vertige, souvent c'est nous-même que l'on abuse. On devient "surnaturel"... au sens où l'on se déplace hors du gîte légitime, hors de la niche structurelle. On souhaite éterniser l'instant : au plus vite le faire revenir et l'étirer jusqu'à n'en plus pouvoir. C'est la définition de l'addiction. Le versant désagréable, angoissant ou morbide bien vite se fait sentir : il est mal-être, sentiment de flottement, d'inertie, de vide ou de désagrégation. Quelque chose de trop arqué soudain se relâche jusqu'à pourrir et se décomposer. Après l'éclat, on vit "mourir" du côté de la matière.

Pour que les choses qui nous font de l'effet se re-proposent d'elles-mêmes spontanément, il nous faut certes de l'entraînement, mais en nous-même ni trop de tension, ni du tout de tyrannie. Rien ne vient à la seule force sèche et brutale d'un désir autoritaire. La subtilité de "la chose" qui sait se faire attendre est de disposer le terrain de notre réceptivité de manière à le rendre suffisamment sensible et poreux pour qu'il puisse éventuellement jouir d'elle. La jouissance est si brève. Vibratoirement en gamma, elle est accélération et éblouissement. Elle est le printemps. Accepter les hivers sans tourner en rond, c'est comme préparer un jardin pour la saison prochaine. Demeurer coûte que coûte dans l'action, mobilisante et chaque fois confondante.

Créer un espace de maturation, un sas d'étanchéité ou de sureté, entre deux sauts risqués. Dompter le dangereux et son ivresse en se protégeant de son emprise et de sa fatalité. Connaître en soi la zone de repos—honnête, douillet, ordinaire et bienheureux. Pour s'endormir en paix—même de jour. Sans plus de suspense ; dans l'oubli de ce qui suivra peut-être, mais qui n'est pas. Entrer dans le contentement de tous les jours, et de ses toutes petites choses. Retenir. Contenir... Apprécier et plus finement encore percevoir. Pouvoir décrire... la vie courante de nos semblables, des trafics ou de l'atmosphère. En s'intériorisant, faire devenir le monde "petit" ; en nous, le rétracter en essence. Et alors, ne plus jamais s'ennuyer ; ne plus jamais éprouver de frustration, ni même d'appétit vorace ou débordant. S'aligner sur l'existant. En profiter pleinement.

Abandonnement.


Ne plus vouloir "en finir"... Plus vraiment. Ne plus tirer au fusil sur les situations... Ralentir au lieu de brusquer, desserrer au lieu de saisir. Donner. Au plus simple des nécessités... au plus primaire des besoins de chacun, en humanité. Dans un coeur commun, cesser l'exigence de se démarquer ; se fondre dans la répétition et abandonner l'excellence. Labourer pour demain—le temps des réjouissances. Errer sans focalisation ; appréhender sans peur, ni retenue ; se mêler. Favoriser ce qui jamais ne vient, jamais ne se montre tout à fait. Entretenir l'inachevé sans l'entreprendre, ni le bousculer. Délier. Laisser aller. Se déresponsabiliser, souffler. Arrêter seulement de "créer". Sans ombre, ni forcément de retombée.

Puis dans le jour qui vient s'affaisser. Se laisser tomber, brut et vrai. Ne pas décider. Notre absence au monde sera féconde, autant qu'une présence constante. Sans souci, évanouissons... et la forme et le parfum.

Ak Mi, 10 nov. '20 - 17h39

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